L’ambon

L’ambon

L’un des apports majeur du Concile Vatican II a été celui du retour de la place de la parole de Dieu dans les célébrations. De sa place symbolique par l’utilisation de la langue vernaculaire, mais également de sa place physique avec le retour de l’emploi de l’ambon, véritable lieu de proclamation de cette parole. La promulgation solennelle de la constitution dogmatique sur la révélation divine Dei Verbum le 18 novembre 1965 par le pape Paul VI refait le point sur la doctrine de la Révélation divine en six chapitres : qui en est l’auteur, quels sont ses intermédiaires et qui en est le promoteur.

Dans le prologue de l’évangile de Saint Jean, Dieu est comparé et assimilé au verbe[1] : à la Parole. Il fait référence aux premiers textes de la bible, le livre de la Genèse où Dieu crée l’univers par sa Parole. Pour les chrétiens, le Christ est le « verbe fait chair[2] ». L’ambon c’est le lieu de la parole de Dieu. C’est à partir de lui que sont prononcés les lectures, la proclamation de l’évangile parfois l’homélie et les intentions de la prière universelle. Cet élément est sacramentel, comme l’autel ou le siège de présidence qui ont un usage dédié à l’action liturgique.

Sa forme est en correspondance avec celle de l’autel, sans pour autant interférer avec la prééminence que doit avoir ce dernier. Son positionnement doit être pensé de manière à être situé à proximité de l’assemblée, devenant ainsi une charnière entre le sanctuaire et la nef.

Sa position doit également permettre la réalisation de processions vers l’ambon. Elle doit mettre en valeur sa dignité et être commode dans sa fonctionnalité, en le disposant de manière à ce que chaque personne qui l’utilisera puisse être vue et entendue par l’ensemble de l’assemblée[3].  Il s’agit d’une tribune noble, élevée et stable qui constitue une présence éloquente, capable de faire résonner la Parole même lorsque personne ne la proclame et en dehors des célébrations. Il ne peut donc pas s’agir d’un simple pupitre.

L’ambon est devenu un objet de plus en plus délicat à dessiner. Avec les nouvelles techniques modernes d’amplifications, il a perdu sa fonctionnalité première. Il ne peut s’agir d’une simple copie d’un style ancien, sans fondement.

Ambon et Autel de l’église Notre Dame du Rosaire, Paris. Le traitement différent au sol autour de l’ambon délimite le lieu de la montée vers la Parole pour les lecteurs. De cette façon les mouvements liturgiques sont induit naturellement.

La symbologie[4] suit toujours la fonction, elle ne devrait jamais la précéder. Il est intéressant de rappeler que les ambons des églises romanes ou paléochrétiennes étaient très fonctionnels.

Dans les édifices orientés vers l’Est, les textes prophétiques et apostoliques étaient lus orientés en direction de l’Est, ainsi que l’évangile proclamé vers la lumière naissante.

« Ce que je vous dis dans les ténèbres, dites-le en pleine lumière ; ce que vous entendez au creux de l’oreille, proclamez-le sur les toits »
(Mt 10, 27).

Ils étaient situés à l’endroit où tous pouvaient entendre la parole proclamée. Pour cela ils étaient placés en hauteur et, les lecteurs tournaient le dos à l’assemblé. Ce procédé  acoustique permettait à la voix de rebondir contre l’abside et de se diffuser dans toute l’église.

Dans certaines églises de type paléochrétienne romaine il y avait parfois deux ambons, situés à gauche et à droite de la schola. L’un constitué d’un seul escalier servait à lire les lectures des prophètes de l’ancien testament et les épîtres du nouveau testament. Le lecteur descendait par le même chemin par lequel il était monté. Le second, constitué d’un escalier d’un côté menant à une plateforme d’où était proclamé l’évangile, possédait un second escalier, d’où descendait le célébrant. Ainsi se manifestait la puissance de la Parole de Dieu, dans le passage de la mort et la Résurrection de son Fils Jésus.

Plan San Clemente Roma

Une colonne de pierre était accolée à la deuxième volée d’escalier pour supporter un majestueux cierge pascal. Ce candélabre monumental supporte ainsi le Symbole de la lumière du Christ Ressuscité, riche de symboles biblique dans le choix des artistes et des liturgistes au cours des siècles. Ces éléments disposés dans une profonde osmose rituelle révèlent le mystère de la lumière pascale de la résurrection.

L’ambon, est le Topos [5] (le lieu) liturgique de la Parole qui est proclamée durant le rite chrétien, dans la célébration du mystère pascal. Ainsi, en tant que symbole, l’ambon est le rappel du tombeau vide et la présence effective de l’annonce pascale au monde.

Un commentaire liturgique attribué à Sophrone de Jérusalem voit également dans l’ambon une représentation de la pierre déroulée du tombeau du Christ, ainsi qu’une figuration de l’échelle de Jacob[6].

Syméon de Thessalonique (14ème-15ème siècle) récupère cette mystagogie en écrivant : «la table sainte (l’autel) est le tombeau, comme le sanctuaire est de toute évidence la sépulture. C’est pourquoi l’ambon est placé devant les portes de la sépulture signifiant la pierre roulée.»[7]

(Cf. également Jean 20, et Luc 24,2)

Héritier du bêma de la synagogue, l’ambon est donc le lieu de «l’enseignement» de la Parole de Dieu»[8].

Santa Maria in Cosmedin Roma

Signe de la pierre roulée du tombeau sur laquelle l’ange annonça par les Myrophores[9] au monde la Résurrection du Christ, mais aussi image de la montagne sainte[10] ou de la montagne des vertus[11] et, par métonymie, signe permanent de la parole proclamée dans l’édifice sacré, cet excellentior locus[12] représente ainsi le lieu du Verbe, présent au sein de la communauté des fidèles.

« Pourquoi cherchez-vous le Vivant parmi les morts ? Il n’est pas ici, il est ressuscité.»
EVANGILE DE JÉSUS-CHRIST SELON SAINT LUC 24,5

L’Ange annonçant la Resurrection devant les Myrophores au Tombeau. Cathédrale de Monreale, Mosaïques XIe s.

Toute l’année liturgique s’organise autour de Pâques, et l’Église ne célèbre aucune fête avec plus d’éclat.

La fonction liturgique de l’ambon associe l’annonce de la Résurrection faite le soir de l’Office pascal du samedi saint à la prédication évangélique.

La résurrection est ouverture au témoignage des disciples et à la prédication de l’Évangile, car l’Esprit est donné par celui qui a vaincu la mort.

Le symbole de la lumière, qui identifie au Christ le Cierge Pascal allumé (Lumen Christi) durant la veillée, manifeste la présence du Christ au sein de l’assemblée des fidèles.

Du haut de l’ambon, dans un langage élevé et poétique, le diacre, à l’office de la nuit de Pâques, entonne solennellement le chant de l’Exultet. Qui annonce le mystère de cette nuit sainte, la Résurrection du Christ (symbolisée par le cierge allumé), Son triomphe sur la mort et sur les ténèbres du péché et, en même temps, il en célèbre l’acte rédempteur :

 

Le Pape Innocent III explique le symbolisme du cérémonial de cette Exultet en l’illustrant par la forme de l’Ambon dédié à la lecture de l’évangile avec ses deux escaliers :

«Le diacre qui va lire l’Évangile, monte (à l’ambon) d’un côté et sort de l’autre, parce que les apôtres ont prêché d’abord aux Juifs et ensuite aux Gentils, selon ce qu’ils disent aux Juifs : «puisque vous avez repoussé la parole de Dieu et que vous-même ne vous jugez pas digne de la vie éternelle, eh bien ! nous nous tournons vers les nations païennes » (Act. 13, 46)[13]».

 

Nous te louons, splendeur du Père. Jésus, Fils de Dieu.

 

Qu’éclate dans le ciel la joie des anges !

Qu’éclate de partout la joie du monde

Qu’éclate dans l’Eglise la joie des fils de Dieu

La lumière éclaire l’Eglise,

La lumière éclaire la terre, peuples, chantez !

Voici pour tous les temps l’unique Pâque,

Voici pour Israël le grand passage,

Voici la longue marche vers la terre de liberté !

Ta lumière éclaire la route,

Dans la nuit ton peuple s’avance,
libre, vainqueur !

Voici maintenant la Victoire,

Voici pour Israël le grand passage,

Voici la longue marche vers la terre de liberté !

Ta lumière éclaire la route,

Dans la nuit ton peuple s’avance,
libre, vainqueur !

Voici maintenant la Victoire,

Voici la liberté pour tous les peuples,

Le Christ ressuscité triomphe de la mort.

Ô nuit qui nous rend la lumière,

Ô nuit qui vit dans sa Gloire le Christ Seigneur !

Amour infini de notre Père,

suprême témoignage de tendresse,

Pour libérer l’esclave, tu as livré le Fils !

Bienheureuse faute de l’homme,

Qui valut au monde en détresse le seul Sauveur !

Victoire qui rassemble ciel et terre,

Victoire où Dieu se donne un nouveau peuple

Victoire de l’Amour, victoire de la Vie.

Ô Père, accueille la flamme,

Qui vers toi s’élève en offrande,
feu de nos cœurs !

Que brille devant toi cette lumière !

Demain se lèvera l’aube nouvelle

D’un monde rajeuni dans la Pâque de ton Fils !

Et que règnent la Paix, la Justice et l’Amour,

Et que passent tous les hommes

De cette terre à ta grande maison, par Jésus Christ !

 

 

[1] . Évangile selon Saint Jean, 1, 1.

[2] . Ibid. 1, 13.

[3] . PGMR, n.309.

[4] . La symbologie, parfois appelée « symbolique » ou même « symbolistique », désigne une théorie des symboles ou la science des symboles. Là où le signe est conventionnel et, dans la mesure du possible, totalement univoque, le symbole suggère, évoque, sans la circonscrire, une réalité plus profonde, multiple, avec une base naturelle.

[5] Un topos: « lieu, endroit » en grec ; au pluriel : topos) désigne un arsenal de thèmes et d’arguments en rhétorique antique dans lequel puisait l’orateur afin d’emporter l’adhésion de ses auditeurs.

[6] Sophrone de Jérusalem, Commentaire liturgique 4. PG 87.3-3985.

[7] Syméon de Thessalonique, Du temple sacré 136. PG 155, 345D.

[8]  L. Bouyer, Architecture et liturgie, Paris, 1967, p. 15-26.

[9] Les Myrophores : femmes porteuses de parfum, femmes porteuses de vie. Les Saintes Femmes mentionnées dans le Nouveau Testament qui participèrent à l’ensevelissement de Jésus et qui découvrirent le sépulcre vide après sa Résurrection. Les Saintes Femmes assistèrent Jésus durant son ministère terrestre, l’aidant et le servant (Marc, 15:41) ; elles lui demeurèrent fidèles lors de l’arrestation et de l’exécution. Elles se tinrent au pied de la croix, accompagnèrent son ensevelissement et notèrent l’emplacement de sa tombe. Après le sabbat, elle revinrent au tombeau pour bénir de myrrhe le corps de Jésus. Ayant eu la révélation de la Résurrection, elles en avertirent les apôtres. Elles sont de ce fait « apôtres des apôtres » particulièrement Marie-Madeleine.

[10] Sicard de Crémone, Mitrale, P.L. CCXIII, col. 106 B .

[11] Rupert de Deutz, De Divinis Officiis, éd. H. Haacke, Turnhout, 1967 (CCSL, 7), I, 36, p. 29-30.

[12] Amalaire, De Ecclesiasticis Officiis, P.L. CV, col. 1126 c.

[13] Innocent III, De Sacro Altaris Mysterio, 42, P.L. CCXVII, col. 823.

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